Villes et genre : enjeux, méthodes géographiques et influences conceptuelles
La géographie, notamment la géographie urbaine, a entamé, depuis une bonne trentaine d’années maintenant, l’intégration du genre dans ses préoccupations. Des réseaux de chercheur.e.s se développent peu à peu auteur de cette question, même s’ils demeurent encore un peu isolé.e.s. La problématique du genre en géographie est particulièrement pertinente dans la mesure où la territorialisation des urbains n’est pas du tout la même si on en est un homme ou une femme. La croyance que les habitants des villes sont neutres reste pourtant bien présente (notamment dans les politiques publiques) et invite à s’interroger sur les résistances qui existent dans la discipline, alors que de nombreux travaux ont montré la pertinence de l’étude des pratiques différenciées des femmes et des hommes des espaces publics. L’espace est en effet « le support et le produit de rapports de genre marqués par des phénomènes de hiérarchisation et de domination ». Comprendre à la fois les normes de genre qui dictent l’organisation des espaces et les pratiques qui y prennent place sont un des défis majeurs d’une géographie du genre. La territorialisation, loin d’être aussi égalitaire et libre qu’il n’y paraît, est induite par des mécanismes dont le résultat est l’inégalité d’accès aux espaces publics jusqu’aux processus d’exclusion purs et simples.
Dans les pays en développement, où on trouve des situations de très fortes inégalités et de politiques de développement encore souvent menées sans intégration du genre dans les projets, les femmes semblent particulièrement affectées. Une ville en crise (politique, sociale, économique, etc.) est d’abord soutenue par les femmes qui, très généralement responsables du quotidien, doivent suppléer au manque d’eau, d’énergie pour cuisiner, de transports, de garde d’enfants, etc. Inversement, les situations de crise peuvent aussi leur conférer davantage de liberté de circulation.
La présence des femmes dans les rues lors de soulèvements politiques est, dans certains pays, jugée nouvelle, comme cela a été le cas pour les Printemps arabes du début de la décennie ou pour les mouvements récents en Algérie et au Liban. En fait, comme l’ont démontré de nombreuses recherches les femmes sont depuis toujours présentes dans les espaces publics. Mais si les revendications citoyennes des femmes et l’affirmation de leur identité sociale passent entre autres par une territorialisation, celle-ci reste sous contrainte, car les corps des femmes sont encore des enjeux sociétaux, autant dans les pays d’Afrique du Nord et à l’est de la Méditerranée que dans de nombreux autres pays, y ceux compris de l’OCDE. C’est pourquoi le sujet mérite une attention scientifique tout en prenant garde d’éviter les effets de mode qui peuvent tendre à instrumentaliser le thème.
Penser la ville à l’aune du genre est devenu un enjeu fort de la géographie, notamment urbaine, non seulement dans les pays des Nords, mais aussi dans ceux des Suds, où l’accès aux services essentiels et les stratégies d’adaptation, en particulier des classes populaires, accentuent la différenciation de pratiques des territoires urbains. Faire le point sur les recherches qui traitent de ces questions dans des pays différents, les articuler, les confronter sera un des objectifs de cette séance. Un autre objectif sera de s’interroger sur les méthodes géographiques adaptées à ces types de recherche et de partager des innovations méthodologiques, réinventions ou applications décalées de méthodes anciennes pour saisir les interrelations, les injonctions paradoxales de la question genre et ville.
Responsables :
Corinne Luxembourg, École Nationale Supérieure d’Architecture Paris La Villette & Laboratoire Discontinuités, Université d’Artois (corinne.luxembourg@gmail.com)
Gaëlle Gillot, IEDES/Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, UMR Développement et Sociétés (Gaelle.Gillot@univ-paris1.fr)